Fraude aux Certificats d’Économies d’Énergie : un système renforcé face à une menace persistante

9/4/2025
Fraude aux Certificats d’Économies d’Énergie : un système renforcé face à une menace persistante

Depuis près de vingt ans,le dispositif des Certificats d’Économies d’Énergie (CEE) constitue l’un des leviers majeurs de la politique énergétique française. Fondé sur une logique incitative, il mobilise les acteurs privés pour financer des travaux de rénovation énergétique, tout en favorisant la réduction de la consommation d’énergie. Cependant, son efficacité est aujourd’hui menacée par une recrudescence de fraudes qui entachent sa crédibilité. En réponse, les pouvoirs publics ont engagé un vaste chantier de réformes législatives et réglementaires. Dernier exemple en date : l’adoption par le Sénat, le 2 avril 2025, d’une proposition de loi renforçant considérablement les moyens de lutte contre la fraude dans le secteur.

Un dispositif ambitieux… mais vulnérable

Mis en place en 2006, le dispositif CEE repose sur une obligation faite aux fournisseurs d’énergie – appelés « obligés » – de réaliser ou financer un volume défini d’économies d’énergie. Pour cela, ils peuvent soit mener des actions directes, soit acheter des certificats auprès d’acteurs éligibles ayant réalisé des travaux conformes à des fiches standardisées.

Ce système, vertueux sur le papier, est cependant confronté à une faille structurelle : sa complexité technique et sa nature déclarative. La charge de la preuve repose sur des documents administratifs (devis, attestations, preuves de qualification), parfois faciles à falsifier. Cela a conduit à l’émergence de pratiques frauduleuses allant de simples négligences à des fraudes massives et organisées.

Une fraude protéiforme et bien organisée

Au fil des années, les fraudes aux CEE ont pris des formes de plus en plus variées. La plus répandue reste celle des travaux fictifs, déclarés mais jamais réalisés. D’autres dossiers concernent des chantiers partiellement effectués, ou non conformes aux standards exigés, mais tout de même valorisés pour générer des certificats.

Certains réseaux vont jusqu’à usurper des identités, souvent via des campagnes de démarchage abusif, afin de collecter des données personnelles et monter de faux dossiers. Des sociétés-écrans sont parfois créées pour industrialiser la fraude, puis rapidement liquidées, rendant les poursuites difficiles. En parallèle, des professionnels insuffisamment formés ou mal encadrés peuvent générer des volumes frauduleux sans en avoir pleinement conscience.

Les conséquences sont multiples : perte de confiance dans le dispositif, détournement de financements publics, distorsion de concurrence, et ralentissement de la transition énergétique. À titre d’exemple, Tracfin a estimé que près de 400 millions d’euros de MaPrimeRénov’ ont été détournés en 2023, atteignant un niveau de fraude record.

Des conséquences multiples

Les conséquences de ces pratiques frauduleuses sont considérables. Sur le plan économique, d’abord : la fraude entraîne un détournement massif d’un dispositif publiques. Le coût des CEE qui se répercute finalement sur les factures d’énergie se doit de financer la rénovation énergétique française et non de profiter à des sociétés malhonnêtes.

Sur le plan environnemental, les dégâts sont tout aussi préoccupants. Des CEE sont émis sans qu’aucune économie d’énergie réelle n’ait été générée. Cela ralentit les progrès vers les objectifs climatiques de la France, fausse les bilans énergétiques et compromet l’efficacité du dispositif dans son ensemble.

La confiance des acteurs est également mise à mal. Entre les obligés, les installateurs, les délégataires, les services de l’État et les ménages, le soupçon s’installe. Les relations deviennent plus tendues, les contrôles plus lourds, et les démarches administratives plus complexes.

 

Une réponse politique forte : la proposition de loi du 2 avril 2025

Face à cette menace grandissante, le Sénat a adopté, avec modifications, le 2 avril 2025, une proposition de loi portée par le député Thomas Cazenave, visant spécifiquement à renforcer la lutte contre la fraude aux aides publiques, avec un accent particulier sur les CEE. Déjà validé par l’Assemblée nationale, ce texte marqueune avancée significative, tant sur le plan préventif que répressif.

Parmi les principales mesures adoptées figurent :

  • La possibilité de suspendre temporairement le versement des aides en cas de suspicion de fraude, afin d’éviter que des fonds publics ne soient indûment distribués ;
  • Un doublement des amendes en cas de fraude avérée sur les CEE ;
  • Une coordination renforcée entre institutions, avec des échanges facilités entre la DGCCRF, la Commission de régulation de l’énergie (CRE), l’Ademe, l’Anah, les organismes de qualification et le ministère de la Justice ;
  • La possibilité d’imposer à certains professionnels des formations obligatoires en droit de la consommation, pour corriger les dérives liées à une mauvaise connaissance des règles ;
  • Des pouvoirs d’enquête accrus pour la DGCCRF et une publicité renforcée des sanctions prononcées, dans une logique de dissuasion.

Le texte de loi accorde une attention particulière au marché de la rénovation des logements, particulièrement vulnérable. Il consolide l’interdiction du démarchage téléphonique et électronique dans ce domaine, prolongeant les dispositions de la loi Verzelen votée en 2024.

D’autres dispositions visent directement les professionnels du secteur :

  • Le retrait ou la suspension du label RGE ou de l’agrément Mon Accompagnateur Rénov’ en cas de fraude avérée ;
  • L’interdiction pour les entreprises condamnées de solliciter à nouveau un label pendant jusqu’à cinq ans ;
  • L’obligation, pour les derniers vendeurs de CEE, de mettre en place des processus de contrôle interne et de garantir la conformité des volumes commercialisés, sous peine d’être tenus responsables.

Ces mesures visent à sécuriser toute la chaîne de valeur et à responsabiliser chaque acteur, du producteur de CEE au dernier détenteur.

Une gouvernance plus rigoureuse pour une économie durable

Au-delà des sanctions, la réforme engage une transformation de la gouvernance du dispositif CEE. Elle repose sur plus de transparence, plus de contrôles, et une responsabilisation collective. L’objectif est clair : rétablir la confiance dans le système, assurer que les aides atteignent réellement leur cible, et garantir que chaque kilowattheure cumac déclaré corresponde à une économie réelle.

Chez OTC FLOW, nous saluons ces évolutions. Elles traduisent une prise de conscience partagée : la fraude ne nuit pas uniquement à l’État ou aux contribuables, elle affaiblit tout un secteur. Elle freine l’investissement, menace l’image de la filière et compromet la réussite des politiques climatiques. Nous appelons donc l’ensemble des acteurs à redoubler de vigilance pour prévenir efficacement les dérives.

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